Les nouvelles sur le cormoran

Le cas du grand cormoran est un sujet fréquemment évoqué dans le monde halieutique. Pour rappel, il a toujours fait l’objet d’une procédure de régulation, autorisé par le ministère de la Transition écologique qui définissait un quota triennal de tirs par département. Mais ça c’était avant le 1er octobre 2022, où les arrêtés ont été suspendus et le ministère n’a tout simplement pas reconduit les autorisations de tirs de régulation du cormoran sur les eaux libres françaises pour la période 2022-2025.

Pour contrer cela et pouvoir demander une dérogation, un protocole national a été élaboré de manière à définir le plus précisément possible l’impact du grand cormoran sur les dynamiques de population piscicole, et notamment sur les espèces à enjeux. Le Gouvernement, la FNPF et l’OFB ont alors identifié quatre départements pilotes pour réaliser cette étude, dont 3 ont reçu des autorisations de tirs à des fins scientifiques.

Parmi eux, la Fédération de pêche du département de l’Aude nous a partagé leurs résultats d’étude de 2023 ; le rapport de 2024 étant en cours de rédaction. Les espèces à enjeux étudiées sont alors la truite fario et l’ombre commun (ce dernier étant naturellement absent du Gard), dont le protocole a été appliqué sur la Haute Vallée de l’Aude.

Mise en contexte: état des populations de Cormoran

Données issues du comptage annuel sur dortoirs dans l’Aude

Le comptage annuel des dortoirs de Cormoran dans l’Aude a montré une hausse des effectifs à échelle du département (+16%), qui s’inscrit dans une tendance globale à l’augmentation sur la dernière décennie, mais avec des disparités géographiques :

  • Forte augmentation des effectifs sur les dortoirs littoraux (+74% entre 2021 et 2024)
  • Baisse des effectifs dans les dortoirs continentaux (-30%), avec cependant multiplication des petits dortoirs

Mais il y a de forte variabilité intra-saisonnière, en phase de nourrissage hivernale. Sur les 20km linéaire étudiés spécifiquement dans l’étude, une moyenne de 31 cormorans/jour a été observée soit une estimation de ~2.8 tonnes de poissons consommées durant la période de comptage (du 16 octobre 2023 au 14 avril 2024).

Etude sur le peuplement piscicole dans le milieu

Sur les 2 stations soumises à la pression de prédation du cormoran, la composition globale du peuplement semble avoir été modifiée entre 2019/21 (pression de prédation régulée) et 2023 (pression non régulée).

Sur la station 1 (Belvianes et Cavirac) est observé le maintient voire la progression des populations de barbeau méridional, chabot, truite et vairon. La station est plus favorable aux stades juvéniles des truites qu’aux adultes, pour lesquels a été observé en 2023 un bon recrutement et une augmentation des tailles adultes. Mais 2023 montre une déstructuration de la population d’ombre avec une chute de 80% de biomasse traduit par la quasi-disparition des adultes.

Sur la station 2 (Campagne-sur-Aude), une déstructuration de la population d’ombre est également observée, avec une importante chute des effectifs et biomasses dont la quasi disparition des alevins (6 en 2023 contre 302 en 2019). Les effectifs en truite ont également diminué.

Alors que sur la station « témoin », aucune variation dans la composition du peuplement est observée : la population de salmonidés, se résumant aux truites fario, est bonne et stable sur les 2 années de suivis contrairement aux 2 précédentes stations.

Evolution des effectifs de truite par classe de taille en 2019 (violet) et 2023 (vert) – FDPPMA 11

 

Mais comment être sûr que ces changements soient induits par le cormoran et non par les facteurs environnementaux ?

Un certain nombre de ces paramètres, qu’ils soient naturels ou anthropiques, ont été regardés et analysés pour pouvoir expliquer les potentielles variations biologiques. Un tableau récapitulatif peut être établit d’après les données:

Il apparait bien qu’un certain nombre de ces paramètres ont un impact modéré sur le peuplement piscicole, mais ce sont des variables constantes sur la période étudiée, ce qui ne permet pas d’expliquer les changements populationnels observés.

Analyse de contenus stomacaux

A des fins d’étude spécifique, des tirs ont été autorisés pendant le phasage de l’étude, dans le but d’analyser la consommation des cormorans et mettre en relation avec les inventaires piscicoles.

Sur 50 oiseaux tirés, 28 ont pu être récupérés et analysés. Les éléments de résultats sont :

  • La diversité spécifique est conforme aux résultats d’inventaires piscicoles, avec des disparités selon les secteurs de prélèvements
  • Les espèces les plus représentées sont : l’Ombre commun (49 ind.), Truite fario (11 ind.) et Spirlin (61ind. tous en secteur aval)
  • La biomasse globale est dominée par les salmonidés : 2.76kg d’ombre et 2,77kg de truite fario
  • la fréquence d’occurrence plus importante pour la truite (10/28), suivi de l’ombre (8/28) et du spirlin (4/28)

Sur la station 1 de l’étude, il a été ainsi mis en évidence une prédation préférentielle d’adultes (20-40cm) chez les truites, mais de juvéniles chez les ombres (15-25cm) à ce qui concorde avec les résultats des inventaires.

Parce qu’une image de ces poissons vivants fait plus plaisir à voir qu’à moitié digérés

Eléments de conclusion

Concernant l’impact estimé des dynamiques de populations salmonicoles de la Haute vallée de l’Aude:
✓ La viabilité des populations d’Ombres commun est potentiellement remis en question à court terme (importantes chutes des abondances, déstructuration des populations et report de la prédation sur les cohortes restantes);
✓ Report de la prédation sur les Truites fario (viabilité sur le long terme?) : observation d’une forte fréquence d’occurrence dans les estomacs et perturbation de la reproduction.

Avec ces résultats, le procédé de régulation et d’effarouchement de l’oiseau par les tirs semble baisser la pression de prédation sur les secteurs sensibles, tout en n’impactant pas la dynamique de population des Grands Cormorans à l’échelle départementale.

L’étude nationale doit se poursuivre pour attester de la récurrence des résultats et valider le réel impact de l’oiseau piscivore. Nous attendons les prochains résultats pour pouvoir vous informer des conclusions!

 

Sources:

Données et éléments explicatifs issus de la Fédération de pêche de l'Aude
Photographie principale: Freddy Plédran